Il est une heure avancée de la nuit, mes larmes sèchent sur mes joues, mes cheveux sont décoiffés, je me sens vide et pourtant je sais que je suis en vie.

Mais quelle vie ? J'ai vingt-cinq ans, bientôt vingt-six et j'ai déjà perdu toutes mes économies, pas de petite amie, plus d'amis, des créanciers, des parents qui pleurent la situation de leur fils - au fait, je m'appelle Anis, enchanté - mes études sont gâchées, ma santé à retrouver, je suis un joueur en difficulté.

J'ai joué à un jeu qui n'en est pas un en fait. Eux allaient à la guerre, moi j'allais aux jardins des délices, je contemplais les joueurs, les croupiers, les jetons, mais surtout, les joueurs. Ils étaient tous différents et puis réels. Moi, j'étais le jeune étudiant, épris de littérature, assis à coté d'eux, ces malfrats, ces professionnels, ces touristes, avec devant moi, des milliers d'euros et le temps comme suspendu. Combien de livres aurais-je pu acheter ? de cigares, de fleurs, de litchis ... pour ma maman, mon papa, ma sœur, mon frère, moi-même. Combien de nuits au bord de l'eau, d'après-midi au parc ai-je manqués ?

Quand les douleurs de l'argent s'apaisent, quand l'envie de jouer disparaît, ce qu'il reste c'est les regrets. Des vagues de regrets. J'ose l'écrire, arrêter le jeu n'est que la première étape du processus. Il est possible d'arrêter complètement et pourtant, de continuer à souffrir.

Des fois quand le jour se lève, que je n'ai pas dormi, que j'ai peur, je me dis que je suis en train de vivre une belle expérience. La douleur fait partie de la vie, elle fait de moi un homme complet. Alors j'essaye d'accepter mes regrets et de continuer à vivre malgré que je ne sois plus le même qu'autrefois.

J'écris ces mots et je sais que je suis en vie, les cartes ne me font plus envie, elles me font encore pleurer, quelques fois. Je n'ai pas encore réglé tous mes problèmes d'argent mais avec le temps je vais y arriver. Je dois passer mon dernier examen universitaire au mois de septembre. J'espère que je l'aurai ! Je me demande si un jour les gens arrêteront de me voir comme un joueur en difficulté. Je me demande si je vais réussir à vivre.